Après avoir vu aux actualités que la Mairie de Saint André avait été rappelée à l’ordre et qu’on lui a interdit de pulvériser de l’eau faiblement chlorée dans les espaces extérieurs de certains sites afin de lutter contre le COVID 19, nous avons trouvé cette interdiction décalée comparée aux quantités importantes d’insecticides dangereux pour la santé employées pour lutter contre les moustiques. Du coup, il nous a paru intéressant d’écrire une suite à notre article de l’année dernière que nous avons publié à peu prés à la même période et intitulé « Les méandres de la démoustication ».
Cet article révélait la toxicité pour l’homme du produit utilisé pour les campagnes de démoustication à grande échelle sur l’île.
Nous apprenons aujourd’hui que la crise de la dengue est toujours gérée de la même façon, c’est à dire en pulvérisant un produit dangereux dans l’air. Alors quand vous lisez les recommandations faites lors des campagnes de démoustication ils parlent d’un produit non dangereux pour les animaux à sang chaud, alors que selon l’INRS voilà l’étiquette du produit :
DELTAMÉTHRINE
Toxique
Danger pour l’environnement
Danger
H301 – Toxique en cas d’ingestion
H331 – Toxique par inhalation
H410 – Très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme
Nota : Les conseils de prudence P sont sélectionnés selon les critères de l’annexe 1 du règlement CE n° 1272/2008
Rappelons que l’INRS c’est l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles en France. En gros, les étiquettes des produits chimiques c’est chez eux que ça se passe…
Tout est expliqué dans notre précédent article que vous pouvez retrouver ici et je vous recommande de commencer par là si vous ne l’aviez pas lu.
Un an après, avec une nouvelle épidémie de dengue, beaucoup voudraient savoir où en sont les études et les recherches promises après la médiatisation de cette problématique. Il avait été annoncé que l’expérimentation en milieu naturel allait démarrer sous peu, alors qu’en est-il ?
Tout d’abord il faut savoir que la technique de lutte alternative à laquelle nous faisions référence s’appelle la « Technique de l’Insecte Stérile » (TIS) et qu’à La Réunion l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) a commencé les expérimentations depuis 2009. (Toutes les informations sur le programme sont disponibles sur le site www.tis.re)
On y apprend que le premier lâcher de moustiques en milieu naturel n’a eu lieu qu’en juin 2019. Cela voudrait-il dire que la phase préliminaire d’études et d’observations du moustique tigre aurait donc pris 10 ans.
Suite au premier lâcher de moustiques stériles élevés en laboratoire à la Réunion au mois de juin 2019, un deuxième lâcher a eu lieu à Duparc le 7 septembre 2019.
Voici un extrait tiré de leur site : « L’objectif reste le même : déterminer comment les moustiques élevés en laboratoire réagissent dans ce nouvel environnement naturel et sur quel périmètre ils se dispersent. Suite au premier lâcher, les scientifiques ont relevé les pièges disposés à différents endroits dans le quartier et capturé en même temps les moustiques (mâles et femelles) sauvages et les mâles stériles marqués de poudre fluorescente. La première tendance suggère que les mâles stériles lâchés se comportent et survivent aussi bien que les mâles sauvages non stériles. Ces premières observations confortent les attentes des chercheurs, mais devront être confirmées lors des prochains lâchers prévus à des périodes différentes au cours de l’année. Les résultats seront alors analysés par les chercheurs avant de tirer des conclusions définitives. L’expérimentation en cours visant tout d’abord à comprendre le comportement de ces moustiques stériles en milieu naturel, les quelques moustiques relâchés actuellement n’ont pas d’effet notable sur la population globale de moustique Aedes, ni sur les écosystèmes.
Nous sommes dans une zone tropicale où les cycles sont à la fois plus rapides et souvent sans interruptions saisonnières ou très peu, des moustiques il y en a toute l’année, alors il faudrait se donner les moyens d’aller plus vite. Mais là encore, planifier une stratégie, mettre des moyens financiers encore plus conséquents pour permettre aux chercheurs du TIS Réunion d’aller plus vite, c’est trop demandé.
Qu’en est-il de l’impact de la TIS sur l’écosystème ?
Des militants écologistes ont fait part de leur inquiétude de l’éradication potentielle d’une espèce de moustiques pour l’écosystème. Ils pensent à l’impact sur les oiseaux, sur d’autres insectes ou sur les plantes qui partagent le même biotope que les moustiques ?
Mariann Bassey, activiste de l’organisation environnementale Friends of the Earth Africa à dit lors d’un communiqué « Pour résoudre la crise du paludisme, nous devons nous concentrer sur les solutions les moins risquées et les plus efficaces, et ne pas mener des expériences potentiellement dangereuses pour l’écosystème sans nous soucier des nouvelles conséquences environnementales et sanitaires ». D’autres personnes annoncent qu’il pourrait y avoir aussi un risque que la mutation génétique se transmette à d’autres espèces qui risqueraient, à leur tour, de disparaître…
Effectivement, c’est un risque, mais qui est lui hypothétique contrairement à la réalité des dégâts que les insecticides dispersés par les campagnes de démoustications ont déjà causés. À La Réunion ce phénomène est bien connu et nous avons tous observé la disparition de nombreux insectes de nos jardins et des espaces verts de façon significative. Les Mantes religieuses, phasmes, papillons, coléoptères, qui sont des insectes beaucoup plus fragiles et moins aptes à s’adapter aux changements brutaux, n’ont pas pu développer les résistances que la plupart des moustiques ont acquises. Cet impact sur les oiseaux est aussi très fort car ils sont à la fois exposés à ce produit et consomment les insectes devenus toxiques. N’oublions pas les chauves souris, Tenrecs (Tangues) et autres pour lesquels aucun suivi toxicologique n’est mis en place pour incriminer la deltaméthrine. Vous comprendrez pourquoi on peut nuancer les propos de Madame Bassey puisqu’à La Réunion on a négligé la préservation du reste bien avant de penser à la TIS.
Des moustiques toujours plus résistants, alors pourquoi continuer à utiliser des insecticides ?
Pour la route on vous offre un extrait d’un énième article scientifique sur la résistance de nos chers moustiques locaux au produits de la famille des pyréthrinoïdes dont fait partie la deltaméthrine utilisée à La Réunion :
« Adult bioassays revealed varied susceptibility against DDT, deltamethrin and propoxur in the six Ae. albopictus populations. Significantly lower mortality rates were found in urban populations than suburban and rural populations. Urban mosquito populations showed resistance against DDT, deltamethrin and propoxur, while one rural population was resistant to DDT. All populations tested were susceptible to malathion. Larval bioassays results indicated that all populations of Ae. albopictus were sensitive to the larvicide Bti and malathion. Resistance to deltamethrin and propoxur was common in larval populations. The F1534S and F1534 L mutations were found to be significantly associated with deltamethrin resistance. Biochemical assays indicated elevated detoxification enzyme activities in the field mosquito populations. »
Traduction : Les essais biologiques chez les adultes ont révélé une sensibilité variable au DDT, à la deltaméthrine et au propoxur (baygon) dans les six populations d’Ae. albopictus. Des taux de mortalité significativement plus faibles ont été trouvés dans les populations urbaines plutôt comparées aux populations suburbaines et rurales. Les populations de moustiques urbains ont montré une résistance au DDT, à la deltaméthrine et au propoxur, tandis qu’une population rurale était résistante au DDT. Toutes les populations testées étaient sensibles au malathion. Les résultats des essais biologiques sur les larves ont indiqué que toutes les populations d’Ae. albopictus étaient sensibles au larvicide Bti et au malathion. La résistance à la deltaméthrine et au propoxur était courante dans les populations larvaires. Les mutations F1534S et F1534 L se sont avérées significativement associées à la résistance à la deltaméthrine. Les analyses biochimiques ont indiqué des activités enzymatiques de détoxication élevées dans les populations de moustiques sur le terrain. Source de la publication : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5753460/
Dans la publication est mentionné le malathion, produit classé cancérogène probable en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), c’est un produit peu persistant dans le sol selon l’ANSES, mais il est très écotoxique notamment pour les organismes aquatiques, les abeilles et les oiseaux, et son principal produit de décomposition, le malaoxon est très toxique. Il est pour ces raisons interdit d’usage dans l’Union européenne, dont en France depuis le 1er décembre 2008, mais qui a été utilisé antérieurement à La Réunion pour la crise du Chikungunya. Ça c’était pour le bonus.
L’équipe Green974.